Ces derniers jours, j’ai vu passer pas moins de 3 titres racoleurs sur d’apparentes bonnes nouvelles en psychiatrie. Vu leur teneur, je les ai partagées avec enthousiasme, et un excès de rapidité … jusqu’au moment où j’ai cherché à en savoir plus :
- La méditation est-elle aussi efficace qu’un antidépresseur pour réduire le stress chez les patient·e·s anxieux·ses ?
- Apprendre la musique permet-il d’affronter la dépression ?
- Faire du sport est-il efficace pour lutter contre le syndrome de stress post-traumatique (PTSD) ?
Comparaison des effets de la méditation et des antidépresseurs sur l’anxiété… sous réserve d’avoir une fréquence de pratique irréaliste pour des patient·e·s
La publi scientifique, à consulter dans JAMA Psychiatry, a comparé les effets de la méditation de pleine conscience à ceux de l’Escitalopram, un antidépresseur, sur la réduction du stress chez des patients atteints de Troubles Anxieux.
Hoge EA, Bui E, Mete M, Dutton MA, Baker AW, Simon NM. Mindfulness-Based Stress Reduction vs Escitalopram for the Treatment of Adults With Anxiety Disorders: A Randomized Clinical Trial. JAMA Psychiatry. Published online November 09, 2022. doi:10.1001/jamapsychiatry.2022.3679
La news annoncée au grand public est : « Étude : la méditation réduit l’anxiété autant qu’un antidépresseur« , sur le site de AirZen Radio. Autant dire que sur LinkedIn, les commentaires s’emballent (pas de lien direct pour préserver l’anonymat) : prendre le temps de vivre est un art qui se perd, les antidep c’est BigPharma, etc. Et l’étude semble bonne : réalisée en simple aveugle (le mieux qu’on puisse faire vu la nature de la comparaison), sur une large cohorte de patient·e·s.
Mais alors, pourquoi râlé-je ?
Parce qu’on oublie un peu de quoi on parle. L’étude compare l’efficacité d’un traitement de 10/20 mg d’escitalopram par jour, à… 2h30 de cours hebdomadaires additionnés de 45 minutes de pratique quotidienne de la méditation. Pour reprendre le commentaire éclairé d’un prof de yoga :
C’ est totalement irréaliste de penser que les gens vont méditer 45mn par jour sur la longue durée. Leur proposer ne peut que les culpabiliser parce qu’ ils ne vont pas y arriver et donc se mettre mal, et ca va donc en rajouter 1 couche.
Sur LinkedIn
Je ne suis pas loin de penser que la méditation est 1 pratique Pour les gens qui ont des sous, qui sont en arrêt de travail ou à la retraite.
En ce sens , les médocs sont utiles.
ou encore d’un psychiatre :
Méditer quand on présente un épisode dépressif sévère avec ou sans symptômes psychotiques, avec syndrome somatique F32.31 ou F32.21 c’est tout simplement impossible…
Sur LinkedIn
Pourquoi c’est même carrément dangereux d’écrire un titre pareil
- Annoncer sans nuance une équivalence entre traitement et méditation, ça pourrait faire croire que les antidépresseurs sont bons pour la poubelle. « Vous êtes atteint-e de trouble anxieux, diagnostiqué par un-e médecin qui vous a fourni un traitement ? Balancez tout à la poubelle, vous n’avez qu’à méditer ! ». On ne le répétera jamais assez, déjà c’est FAUX et en plus c’est DANGEREUX de ne pas se soigner ou de faire n’importe quoi avec son traitement.
- Deuxième effet kiss-cool, vu dans des commentaires sur LinkedIn, celui de culpabiliser les patient·e·s, à base de « prendre du temps pour soi c’est la base, si vous n’êtes pas capable de prioriser votre vie, pas étonnant que vous tombiez malade : c’est un peu votre faute ! » . Oui, j’ai lu des commentaires qui allaient dans ce sens. En 2023, on n’a pas encore le c*l sorti des ronces du « Tu n’es pas dépressif·ve mais une grosse feignasse, sors-toi les doigts et prends l’air / mange bio / fais de l’aquaponey ». Ca m’énerve. Vous le sentez ?
Bref, on est encore un peu loin de pouvoir affirmer que 5 minutes de méditation chaque matin éloigne le médecin.
Apprendre le piano aide à affronter la dépression… chez les personnes qui ne sont pas dépressives. Ou pas.
Parfois, magic happens entre la publi scientifique originale et la presse grand public. La recherche originale est publiée par une équipe de l’Université de Bath dans Nature Scientific Reports. Vous la trouverez ici. Elle s’intitule : « une étude randomisée contrôlée montre que quelques semaines de cours de musique améliorent le traitement audio-visuel temporel ».
Che, Y., Jicol, C., Ashwin, C. et al. An RCT study showing few weeks of music lessons enhance audio-visual temporal processing. Sci Rep 12, 20087 (2022). https://doi.org/10.1038/s41598-022-23340-4
Par un mystérieux tour de passe-passe, la news grand public est devenue : « Jouer du piano réduit l’anxiété et aide à affronter la dépression, bien plus qu’écouter de la musique : ce sont les conclusions d’une récente étude de l’université de Bath, en Angleterre. », sur Radio Classique. On passe donc d’une étude « cognitive » à un résultat « psycho-bien-être ». Au passage, Radio Classique : ça serait sympa de lier directement l’étude scientifique dans votre article… citez vos sources !
Un résultat survendu, qui n’est pas l’objet de l’étude
Pourquoi c’est un peu survendu : je ne sais pas pour vous, mais moi, quand je lis un titre pareil, déjà, ça implique qu’on a testé l’efficacité des cours de musique sur une population de patient·e·s. Ce n’est pas le cas ici : il s’agit de comparer l’effet de l’apprentissage musical sur le stress de personnes qui ne sont pas des patient·e·s, ni avec un diagnostic de Trouble Anxieux, ni avec un diag de Dépression, rien. Rien ne garanti que les effets observés chez des patient·e·s seraient les mêmes, et encore moins qu’ils seraient de redescendre les scores anxiété, dépression et stress à un niveau sub-clinique, c’est à dire de guérir. Alors parler de lutter contre la dépression, chez des personnes qui ne sont pas dépressives… bon, voilà, quoi.
Pourquoi c’est à côté du sujet : en réalité, l’objet de cette étude est d’évaluer l’effet de l’apprentissage musical sur des capacités multisensorielles et émotionnelles. Le raisonnement : la musique est multisensorielle (toucher/motricité, ouïe, vue…) et les musiciens ont des capacités de détection de discordances audio-visuo-temporelles augmentées, ainsi que des capacités de reconnaissance des émotions augmentées (en lien avec l’interprétation musicale). Ces capacités sont-elles innées chez les musiciens, ou acquises grâce à la pratique musicale ? L’étude confirme que les capacités multisensorielles sont améliorées, mais ne montre pas de différences sur les capacités de reconnaissance des émotions. Les mesures concernant l’évolution des scores de dépression, anxiété, stress, humeur… sont des résultats annexes, l’étude n’a pas été faite pour ça.
Les calculs sont pas bons, Kevin
Pourquoi c’est limite bidon : pour moi, la grosse faiblesse du résultat (passons sur la nature et la taille de l’échantillon) est statistique. L’outil statistique utilisé ici pour mesurer l’effet des cours de musique est juste… incorrect. Autrement dit, c’est des maths, et…
Tout le monde n’est pas formé sur le sujet, je vous l’accorde. Afin de vérifier qu’il se passe bien quelque chose de significativement différent dans le groupe « cours de musique », les auteur·ice·s utilisent 2 méthodes différentes :
- un calcul composé de trois tests simples : trois « T-tests », ou tests de Student. D’après cette méthode, iels montrent une réduction du score « émotions négatives » dans le groupe « cours de musique ». Ce test est normalement utilisé pour comparer 2 groupes. Or, ici, on a bien 3 groupes.
- un autre calcul selon la méthode « ANOVA », ou Analyse de la Variance. Au contraire du premier calcul, ce dernier montre une absence de différence significative des résultats entre le groupe « cours de musique », le groupe « écouter de la musique », et le groupe contrôle.
Je vous le donne en mille, la méthode correcte pour analyser les données collectées aurait dû être l’ANOVA. Tous les profs le disent, tous les cours de stat le disent, même Google le dit :
Oui, ça fait une différence…
Quelle différence ? Lorsque l’on utilise des T-tests que l’on répète plusieurs fois à la place d’une ANOVA, on risque de trouver des faux positifs : on va croire qu’il y a un effet, alors qu’en réalité, il n’y a pas de vraie différence entre les groupes que l’on compare. C’est exactement ce que l’on voit ici ! Les auteur·ice·s le savent très bien, sinon ils n’auraient pas pris la peine de reporter cette méthode qui leur est défavorable. Le lecteur, la lectrice peu à cheval sur la méthodo pourra ainsi piocher le résultat qui l’intéresse. Perso, je trouve ça limite malhonnête… mais selon un de mes directeurs de thèse, je suis psychorigide. Who knows 🤷♀️
Une vraie bonne nouvelle : l’activité sportive permet d’optimiser les thérapies d’exposition pour traiter le stress post-traumatique
Tout n’est pas gris et non, je ne fais pas que râler. Une chouette étude australienne est parue dans The Lancet, intitulée « potentialiser la psychothérapie centrée sur les traumas pour le syndrome de stress post-traumatique avec un bref exercice aérobie en Australie : étude clinique randomisée ».
Bryant, R. A., Dawson, K. S., Azevedo, S., Yadav, S., Cahill, C., Kenny, L., Maccallum, F., Tran, J., Rawson, N., Tockar, J., Garber, B., & Keyan, D. (2023). Augmenting trauma-focused psychotherapy for post-traumatic stress disorder with brief aerobic exercise in Australia : A randomised clinical trial. The Lancet Psychiatry, 10(1), 21‑29. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(22)00368-6
Cette étude a été reprise sur le site web de l’Université de Sydney (UNSW) en Australie, sous le titre : « 10 minutes d’exercice réduit les symptômes du stress post-traumatique« . Il ne s’agit pas à proprement parler de presse grand-public, mais l’article est rédigé dans ce style. Je n’ai rien vu passer en français.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre, non, ce n’est pas le sport seul qui va réduire les symptômes, et on parle d’un certain type de sport. L’article, lui, est dépourvu d’ambiguïté : ajouter 10 minutes d’exercice intensif après chaque séance de thérapie d’exposition permet d’en optimiser les résultats, contrairement à 10 minutes de simple étirement. On parle d’un exercice de type cardio, qui mobilise tous les groupes musculaires. L’effet n’est pas visible juste après le traitement, mais il est bien mesuré après 6 mois de traitement. Il s’expliquerait par une action sur la plasticité cérébrale, permettant un meilleur apprentissage de l’extinction de la peur dans les situations liées au trauma. L’étude a été menée sur 130 patient·e·s, pendant six mois.
Pas de conclusion hâtive, mais une nouvelle qui donne espoir
J’ai un petit doute sur la méthode statistique utilisée. J’ai donc demandé aux auteur·ice·s une copie du manuscrit pour avoir les détails. Bon point pour l’article australien qui reporte les précautions de l’investigateur Richard Bryan : il ne s’agit pas de crier victoire trop vite, de nombreuses études sont encore nécessaires, mais l’étude est encourageante.
I’d really like to emphasise that this is the first trial that’s shown this in an anxiety disorder and I don’t think we should get too excited by it. But as with all of these things, you always need multiple trials to actually have any faith in it. So I’m certainly not telling people to run out and start doing exercise after all your exposure therapy, because I think it’s premature after one trial. But having said that, this is very encouraging.
Traduction perso : Je veux vraiment insister sur le fait que c’est le premier essai où l’on a montré ça dans un trouble anxieux, et je ne crois pas qu’il faille trop s’enthousiasmer. Comme à chaque fois dans ce type de recherche, il faut des essais multiples pour pouvoir croire en ce résultat. Donc clairement, je ne dis pas aux gens de sortir courir et faire du sport après vos séances de thérapie, parce que c’est prématuré après un seul essai. Mais cela étant dit, c’est très encourageant.
Richard Bryan pour UNSW
Faire du sport à dose réaliste est donc une piste pour maximiser les effets d’une thérapie établie. C’est encourageant : ça, c’est une vraie bonne nouvelle !
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